chapitre 9

Notre premier almanach

"Je ne passai pas au confessionnal, monsieur le curé ne vint pas avant longtemps."

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Notre premier almanach

Je ne passai pas au confessionnal, monsieur le curé ne vint pas avant longtemps. On avait appris les mesures du temps, en écrivant la date chaque jour de classe sous la copie du Maître. « Avant longtemps » se mesurait mal, entre incertitude et langueur d’attendre. Je décidais de créer mon almanach, selon les rites de mes désirs, les épisodes de mes tentations, les saisons de mes sentiments.

« Quelle heure est-il Madame Persil ?

   Midi moins le quart Madame Placard ! »

Cette comptine était la seule à se référer aux aiguilles de la pendule accrochée au mur dans l’école, au-dessus du tableau noir. Elle était aussi ce jeu de mimiques et d’imitations, au point de reconnaître Madame Chaussure (qui en était sûre) et Madame Diamant (lassée de répéter « évidemment ! »)

Nous en avions appris des enseignements essentiels par le jeu, l’imagination, la déduction. Avec le Maître, mais aussi seuls. Ainsi de mon almanach, brochure confectionnée avec assez de réserve de papier pour ne pas être pris de court par le temps. J’y notais, jour par jour, ou plusieurs fois par jour ce qui pouvait être une mesure de durée, où l’épaisseur d’un moment. Mes camarades participaient à ce recueil, avec moins d’enthousiasme, mais plusieurs points de vue enrichissent toujours une bonne observation. Jacques, le fils du patron, dont la tête presque hydrocéphale ne pouvait masquer l’abondance de ses réflexions, avait choisi de repérer et attraper les papillons. Il pouvait également prendre en compte les chenilles et particulièrement les vers à soie qui pullulaient sur les feuilles des mûriers. Michel, dont le sens de la mécanique était évident, tant il observait son père penché sous le capot ouvert de sa Peugeot 203, avait pris en charge le calcul des distances entre différents lieux, marqués sur une carte de fortune, et qui devait ainsi déterminer les temps des parcours, selon les différences circonstances, comme la pluie, la fermeture des radiers, le blocage de la piste par les moutons abandonnés de leur berger. Michel avait non seulement une bicyclette mais aussi une montre ! Joël, son frère, plus jeune, ramassait toutes sortes de plantes pour créer un herbier, classées selon les saisons, comme on l’avait appris en classe.

Nous avions été privés de la participation des filles, nos parents étant encore marqués par notre épisode naturaliste, ce qui était la preuve de leur pure ignorance des mouvements littéraires et picturaux. Heureusement, par effet de hasard ou de contagion sourde, nous étions tous prêts à une révolution culturelle que la réalisation de cet almanach allait nous permettre. Nous ignorions tout à l’époque de cette formidable Encyclopédie qui sut préparer une Nation à faire jaillir les Lumières et bouleverser l’Europe !

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