24 avril 2024

Attend que je ne sois plus

"La réponse cartésienne m'ennuie : j'ai dit que je ne veux plus penser ! "

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Attend que je ne sois plus

Il faut que je parvienne à ne pas changer de bord. C’est le dernier vent, la dernière houle, le voyage touche à sa fin. Ce trait de Côte je l’ai dessiné si souvent. Pour en changer le sens, la latitude, la longitude, tout ce qu’on ne peut pas faire en vivant. Arriver et repartir. Non ce n’est pas là. Peut-être ailleurs ? Et puis encore manqué, je me suis trompé. Je me méfie de cet  

enthousiasme soudain. Il fallait vous méfier de ces promesses heureuses! Tout ce temps à chercher, essayer, éprouver, renoncer, et la vie est passée.  

Derrière moi un bric à brac de cassures, brisures, verre et âme, amers moments, embâcles sur le cours de l’existence.  

Et l’impossible gourmandise, même quand manger des oreilles d’Aman fait partie de la fête de Pourim. Trop de sucre, trop de gras, la mort sur tes genoux quand tu restes trop longtemps assis dans ton fauteuil. Partout des surveillants, et donc des injonctions, des menaces. Quand je serai encore plus vieux, si malheureusement cela arrive, je n’aurai pas la force d’envoyer promener tous ces conseillers de merde. 

Heureusement, la solitude ne pèse plus, même quand ses serres m’agrippent parfois. C’est plutôt un grand oiseau qui me fait de l’ombre sous un soleil de plus en plus brûlant. Sous sa pénombre je ne vois plus mes regrets. Dans ce noir on voudrait ne plus ouvrir les yeux, ne plus penser à rien, surtout pas au néant. Un profond sommeil infini sans rêve et sans bruit. Comment savoir alors qu’on est mort? La réponse cartésienne m’ennuie : j’ai dit que je ne veux plus penser ! 

Voilà que j’envisage mon enterrement. Sans angoisse. Comme une cérémonie à laquelle je vais participer, sans en être tout en y étant. Je l’imagine alors, et c’est la plus grande sobriété qui prédomine. Pas d’église, pas de synagogue, directement au cimetière, n’importe lequel, avec un trou pour m’y ensevelir dans un cercueil bon marché, mais surtout avec une plaque de marbre où, au dessus de mon nom, une étoile de David sera gravée pour durer. Non pas pour faire plaisir à Hachem, auquel je n’ai pas été présenté, mais pour reprendre le fil que ma mère avait coupé en reniant sa judéité.  

Je regarde le monde, celui que les reportages nous rapportent et souvent la menace de dissolution est annoncée. Les plantes, les mammifères, les insectes, les oiseaux. Par contre, parfois, il y a de bonnes nouvelles : la salicorne rougeoyante a envahi les bords de mer. Elle ne disparaîtra pas, elle. Et d’autres espèces aussi. Mais l’humanité est aujourd’hui menacée. Elle se dissout dans le temps, cohortes après cohortes, fauchées par la mort « ivre de faucher  » ( Aragon) 

Après nous, enfants du baby boom, nos enfants  puis nos petits enfants. Comment la terre peut absorber toutes les cendres, toutes les poussières de nos morts? Après les épidémies, les guerres, les génocides, les catastrophes, les cancers, les suicides, les accidents, comment ? 

Mes enfants, viendront ils se recueillir sur ma tombe ? De mon vivant, ils ne viennent même pas cueillir les fleurs fanées de ma vieillesse. Sauf un petit peu ma petite dernière, encore prisonnière des marques de mon existence. Mais une fois mort? J’ai souvent négligé de visiter mes parents,  là bas dans ce cimetière sans âme de Cornebarrieu, près des pistes de l’aéroport de  Toulouse Blagnac. A mon tour, je serai enseveli là où rien ne me rattache à la terre qui sera versée sur le bois de mon cercueil. Sauf par procuration ou pour faciliter le temps des chrysanthèmes. 

Mais là encore je ne me fais pas d’illusion, je suis persuadé que le néant appelle le néant.  

Quand c’est fini,ah Ni Nini,tout recommence, ailleurs

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