chapitre 2

Etre au ciel

"Il m’arrive maintenant que j’ai grandi, de retrouver toutes ces créatures. Dans mes rêves. Mais le petit garçon n’apparaît plus."

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Etre au ciel

Il m’arrive maintenant que j’ai grandi, de retrouver toutes ces créatures. Dans mes rêves. Mais le petit garçon n’apparaît plus. Pas même un parmi ceux des pensionnats bleu foncé, ceux en blouses grises comme les parois des mines après le coup de grisou, après l’aveuglante lueur avant la noirceur du néant. Comme après la honte brulante du dévoilement du désir et de la peau mise à nu, si crue que l’air lui-même mord l’épiderme pour faire hurler de douleur l’enfant arraché à son innocence.

Sous le caillou de granite, dans le sable toujours brûlant malgré l’ombre bleue, un scorpion jaune aiguise ses pinces contre une saillie de feldspath, tout en chantonnant. Il n’est pas sérieux avec son torse bombé en plusieurs épaisseurs et la gerboise passant près de lui ne ressent aucune peur. Pourtant, quand le hasard me faisait lever un de ces rochers et que dans le même mouvement où la lumière s’infiltrait, le scorpion léger dressait ses bras armés et levait sa queue chargée de venin, je lâchais très vite cet abri du guerrier du désert.

On dit que c’est une illusion. La bête est aussi peureuse que l’enfant curieux. Certains les prennent fermement par le crochet terminal et les recouvrent d’une fleur de pendula, dont le pistil empoisonné fait tressaillir et suffoquer le prisonnier. La nature a sa réserve permanente de vengeance et de justice.

Yves s’est noyé. Volontairement. Je l’ai appris bien plus tard en assistant à son enterrement. La garde républicaine était présente, disposée en un cercle où les naseaux des montures chargées d’hermine et de licols dorés, se frôlaient. Je n’ai pas vu son cercueil en acajou, on le fit passer au-dessus de nos têtes, par un groupe de grues cendrées, en grand nombre, si grand que la nef de la petite cathédrale disparaissait derrière les plumages de crêpe noire et de rubans argentés des ailes des oiseaux migrateurs. Le célébrant funéraire, un curé de campagne épais comme dans une publicité de fromage monastique, était entouré de gendarmes, ces gardes républicains qui protégeaient le déroulement légal et démocratique de la cérémonie. Le père De Haut vol énonçait sa dernière homélie avant de regagner les geôles civiles où aucun serviteur de Dieu n’avait jamais séjourné. Dans le ciel, les nuages s’étaient arrêtés avec le vent, pour peindre une voute céleste sous laquelle Yves devait passer. Sa boîte de couleur, comme sa palette, parties vers les cieux à la vitesse d’une fusée, avaient coloré chaque cumulus d’un liseré tendre, rose, orange, chaque nimbus d’une tâche bleue et violette, telle une fleur esquissée dans un tableau impressionniste.

J’ai quitté ce lieu de tristesse avant que le bois vernis soit totalement recouvert de terre. Mon costume devenu trop large me cachait la paume des mains et mon pantalon jouait de l’accordéon sur mes chaussures. C’était un accordéon diachronique et il s’harmonisait bien avec le bagad de Lann-Bihoué, celui qu’Yves aimait tant.

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