LIRE
Fermez les yeux
"Hé les enfants, avez-vous vu cela dans vos rêves ? Dans votre imagination ? Pourtant depuis des millénaires ces Olybrius sont encore là. Ah bien sûr, il y a vos héros robots , mais ils sont tellement récents et en ferraille qu’on a du mal à leur trouver une âme"
Fermez les yeux
J’aimerais tant que les plus jeunes me lisent. Parce qu’ils ne lisent pas assez et c’est une risque civilisationnel ( mais si !) mais parce que c’est aussi un moyen de prendre du recul sur eux-mêmes, tant la société les presse dans les bras de l’immédiate consommation et l’ultrarapide frustration.
Je n’oublie pas ces enfants crucifiés sur leur caddy, hurlant la sainte douleur des feux de l’enfer, qu’a suscité le cruel refus du parent pour l’achat d’un Playmobil. Je ne donne pas de leçon. J’ai été également ce père de marbre qui a vite cédé sous l’amplitude des décibels du bambin.
Bien sûr, lire en fermant les yeux atteint au mysticisme et à la divination. Non, il s’agit de fermer les yeux que quelques instants, pour entrer en soi, trouver la petite ou la grande porte mnémonique et y entrer comme chez soi, car plus qu’ailleurs vous êtes chez vous. Vous êtes alors surpris de ce fourmillement, des personnages, des fantômes, illusions, toutes habillées dans des costumes oubliés ou si remarquables, des couleurs striées par de fards noirs ou dorés, ou livides ou colorés comme des lèvres de rose bonbon. Pour quelques instants c’est un rite païen dans votre âme confuse, cette sorte de fête de citrouilles ou ces fêtes séculaires de pénitence ou d’adoration. Vous dormez presque nus dans vos draps froissés et c’est toute une population recouverte de couches d’habits de soie, de bure, de maille, de lin, de cachemire ou de loutre ou de vison, qui vous recouvre de tendres caresses ou de chatouilles infantiles.
Hé les enfants, avez-vous vu cela dans vos rêves ? Dans votre imagination ? Pourtant depuis des millénaires ces Olybrius sont encore là. Ah bien sûr, il y a vos héros robots , mais ils sont tellement récents et en ferraille qu’on a du mal à leur trouver une âme. Et aux dernières nouvelles, ils ne circulent pas dans les couloirs de votre imagination ou de vos rêves, il y a des gardiens infranchissables, des africains immenses et puissants, des cerbères aux cent têtes et votre double, vous-même, qui est le seul à pénétrer ces palais de l’onirisme.
Je pense que si nous prenons ensemble notre temps, on le lire ce livre, jusqu’à la dernière goutte des mots.
André Rettig Azoulay