chapitre 5
Le massacre des innocents
"Ce château fort de pisé et de marbre semblait parfois perdu dans la nudité du désert, et par les jours de chergui, quand les dromadaires baissaient la tête, soufflant sur les dos courbés des sloughis, chacun savait la colère du climat pour les erreurs que nous avions commises"

Le massacre des innocents
Ce château fort de pisé et de marbre semblait parfois perdu dans la nudité du désert, et par les jours de chergui, quand les dromadaires baissaient la tête, soufflant sur les dos courbés des sloughis, chacun savait la colère du climat pour les erreurs que nous avions commises. Des crimes parfois, comme ceux des chatons à peine nés et éventrés à coup de pierres , dont le sang et les boyaux luisaient sur le ciment d’une terrasse d’une maison abandonnée. Au sol, gisaient les dernières vitres cassées en autant de morceaux qu’il était possible, dans une furie de vandales qui avaient perdu la raison, afin de ne rien laisser de réparable dans les vieux ateliers que tant de générations de mineurs et d’ouvriers avaient laissés à leurs successeurs. Les Dieux nous regardaient sans réagir, comme des observateurs d’une expérience, où on aurait laissé dans la toute-puissance de la violence et du mal, des enfants sans foi dans des valeurs, ni la loi des hommes.
Nous-et j’en étais tellement-étions dans un tourbillon de violence gratuite et même euphorique, comme ces bêtes sauvages affolées par l’odeur et le désir du sang. Le bruit des brisures, des éclats, des miaulements à percer nos tympans, nos ricanements encouragés par des diables accrochés à nos épaules, serrant nos clavicules jusqu’à déchirer nos vêtements, tout ce vacarme faisait oublier le souffle du sirocco, approchant à son tour, avec ses corbeilles de buissons anémiés, arrachés d’un sol tellement sec qu’aucune racine ne résistait. Ce souffle devenait grondement, fureur et les premiers grains de sable fouettaient nos visages. La punition était arrivée.
Etonnamment, aucun parent, aucun instituteur, aucun mineur, aucune dame de l’oued, ni même un garde du palais, était présent. Comme seuls témoins de nos meurtres et de nos dégradations, il y avait les singes – diables qui s’épouillaient comme s’il ne s’était rien passé, quelques lézards s’échappant du dessous d’une roche vers une autre, et les touffes séchées apportées par la tempête qui s’était calmée. Mais après un silence qui nous avait paralysés, les hoquets de nos pleurs se mirent en harmonie pour jouer la plus tragique symphonie de notre chagrin. Nous ne parvenions pas à croire que nous étions responsables de ce massacre. Chacun avait un chat qu’il adorait, et sans doute certains d’entre nous étaient aussi encore innocents. Mais la Faute terrible était partagée, comme elle le fut par nos cris, nos rires, nos voix venues d’un gouffre au Diable dont nous ignorions l’existence. Longtemps, nous avons pensé à ce moment où nous étions devenus, sans circonstances particulières, des monstres.