chapitre 3

Le vol des habits

"J’étais revenu à ma montagne dans le désert, à mon scorpion matamore, mais dès lors, à mes pensées acides et glacées sur la mort. La mort, je dis le mot et je n’imagine rien"

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Le vol des habits

J’étais revenu à ma montagne dans le désert, à mon scorpion matamore, mais dès lors, à mes pensées acides et glacées sur la mort. La mort, je dis le mot et je n’imagine rien. Non, les trèfles à quatre feuilles m’attirent beaucoup plus et j’oublie un peu ce mot. Juste un petit « r » en trop, en moins, en plus. Les filles avec qui nous jouons ne semblent pas y penser. Elles effeuillent les marguerites et sautent de joie en gardant le secret. Tous les pétales sont gagnants et nos vies à venir seront comme ces fleurs, immaculées ou phosphorescentes, au cœur même des rayons du soleil et de la poudre d’or qui s’échappe de nos mains, quand nous laissons couler le sable sur nos sandales.

Le contraire de la mort, c’est la fille. C’est un cri, à la tombée d’un soir d’été, dans une galerie creusée par l’érosion dans laquelle Ali Baba et les quarante voleurs venaient cacher leur butin. Je l’ai bien entendu et je l’ai compris.

J’ai découvert les effets volés à Monsieur Spitz. Nous étions tous là, quatre mousquetaires, cinq damoiselles et le Seigneur maître au tableau noir. C’est bien moi le premier qui les ai vus, fripés, entortillés, mais je voulais bien partager mon exploit. Nous étions tous pour tous et chacun pour soi, selon notre devise. Les lézards à tête flamboyante tournoyaient avec leurs ailes chauves au-dessus de nos crânes ébouriffés. Ils fêtaient la victoire de l’honnêteté sur le crime de lèse-majesté. Chacun avait son logis dans les creux de la grotte, marqués par une pierre précieuse, multicolore comme les profondeurs marines qui avaient précédés ce désert désuet. Nous ne nous arrêtâmes point à ces considérations néolithiques, nous avions des jeux bien plus intéressants à partager.

J’avais cependant bien remarqué l’admiration d’Esther, quand je sortis du trou rougeoyant d’une braise perpétuellement incandescente, le premier vêtement de Monsieur Spitz. J’avais deviné le léger reflexe de ses bras, le petit ressaut de sa veine dans la gorge de son coude, et la palpitation syncopée de son cou, comme celui du petit oiseau avalant sa graine d’épeautre, avec ce large sourire courant à chaque bout de sa petite tête d’étourneau. L’admiration est l’argile dans laquelle on triture les premières formes de son amour.

La patrouille, grouillante, avait hissé chaque guenille au bout d’un roseau. Tout autour, des collines bleues sans pétrole ou des monticules d’ocre, marquaient le chemin du retour. Il y avait entre ces reliefs modestes, un sable gris du plomb tombé en pluies lourdes, et d’incroyables plantes dont la couleur verte persistait malgré les mille plaies de ce pays. Cet espace et ce silence ne nous effrayait pas. On le parcourait en sautant comme les sauterelles qui allaient arriver en nuages si compacts, qu’ils se dressaient comme des murailles, constituées de millions de pattes crochues et d’élytres collantes, avant de s’abattre sur toute végétation comestible. Le silence permettait à nos gorges déployées d’expérimenter tous les cris, de l’hyène au sifflement du serpent, du chacal au vautour tournoyant au-dessus des cadavres. Mais aussi à nos comptines, si bien apprises, que le décor se dressait aussitôt sur notre représentation. Souvent un vignoble champenois, des maisonnettes en charpente de bois vieux des guerres de cent ans, et ces coulées de pieds de vignes dont les grappes semblaient donner à chaque rangée la lumière verte et violacée de lanternes chinoises : « De vigne en terre, la voilà la jolie terre, la voilà la jolie terre au vin… »

Ce chant, qui vantait le nectar qui nous était interdit, nous enivrait quand même. Esther était près de moi et m’avait mis son cœur dans ma main. Il ne saignait pas, palpitant comme un petit poisson rouge qui sait qu’il regagnera son eau de survie. Je tentais de sortir le mien de ma poitrine, mais je sentais un chat sautant dans tous les coins de mon diaphragme, me griffant au passage les poumons, et mon nez se mit à saigner. Esther comprit que le cœur des garçons est rebelle au don et, reprenant le sien, elle disparut dans la poussière du chemin.

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