chapitre 8
Rêver en classe est dangereux
"Si on suivait une galerie abandonnée de la mine, il y avait plus de…je ne sais dire le temps, c’était un temps où je n’étais pas encore né."

Rêver en classe est dangereux
Si on suivait une galerie abandonnée de la mine, il y avait plus de…je ne sais dire le temps, c’était un temps où je n’étais pas encore né. Mais peu importe, cette vieille galerie menait quand même dans une souricière de chauves-souris. Elles étaient pendues au plafond grisâtre, par milliers, certaines se détachant pour un autre trou qu’un regard d’homme ne pouvait deviner. Nous n’avions qu’une lampe à acétylène, la lampe d’un mineur qui devait la chercher chaque soir, incapable de penser alors qu’un petit garçon français aurait pu la dérober. Cette lampe donnait une lumière pétillante d’un blanc cru, avec une odeur de gaz et de phosphore. Elle éclairait suffisamment pour anticiper nos pas dans le noir. C’est le voleur qui la tenait, en était responsable et assurait la maintenance. Nous en profitions puisque nous étions ses complices.
Après quelques mètres de paroi surchargée de petits vampires, la galerie fit un coude et s’élargit aussi bien sur les flancs qu’en haut de nos têtes. La lampe ne servait plus, une lumière, aussi forte que les projecteurs des puits d’extraction, nous éblouit complétement, nous fermant les yeux et les clignant plusieurs fois avant de pouvoir les ouvrir. Nous étions à nouveau devant le barrage de la dame de l’Oued. Occupée à cueillir les premières figues, elle ne fit pas attention à nous, tout en chantant doucement un refrain berbère, comme ceux qui servent à endormir un bébé amazigh. Elle était nue…elle aussi.
La règle en bois de chêne claqua sur ma table d’écolier. Le bruit fut accompagné par les rires unanimes de toute la classe. Je me cherchais, me tâtonnais, m’appelais, je pleurais de me savoir perdu et ma main tendue ne rencontra que le bout glacé de l’épée de mon Maître. Où était passé le château, le Temple, les gardes, les chevaux, les écuyers, les armures, le barrage de la dame de l’Oued, la galerie abandonnée, la nudité de Catherine et de la Dame… ?
Disparu, tout ce paysage et ses habitants avaient disparu. En face de moi, très proche de ma petite caboche, il y avait les yeux immenses et clairs de Monsieur Blondeau, mon Maître. Il s’était penché pour être à la hauteur de mon regard, encore mouillé et rougi, et ne pouvant fuir l’étendue de son visage de géant, je détaillais tous ses traits, dont je découvrais pour la première fois la force et l’empreinte de son caractère, à chacune de ses ridules ou ses fossettes.
« Où étais-tu mon garçon ? »
Et ses lèvres faisaient osciller la sévérité et le pardon, l’opprobre ou la clémence. Il faut préciser que Monsieur Blondeau nous enseignait aussi le catéchisme, et quelques chapitres de la Bible, réconfortants, me revenaient en mémoire.
« Pardonnez-moi, Maître, je me confesserais ! »
Que les promoteurs de la loi de 1905 nous pardonnent cet arrangement avec la laïcité et la rédemption spirituelle. La loi avait réussi à broder le liseré de mes rêves.